Une justice bien balancée

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« Accusée, levez-vous » profère le procureur.

La jeune femme est d’une beauté étonnante : elle porte un bustier moulant qui met en valeur sa poitrine parfaitement galbée, des petits seins fermes dont la pointe se tend fièrement vers le plafond de ce tribunal. Sa jupe est fendue des deux côtés et laisse apparaître des cuisses fuselées par le sport. Une légère toison dorée recouvre ses membres à la peau ambrée. L’accusée secoue la tête avec une moue dédaigneuse ce qui fait bouger sa cascade de cheveux auburn. Elle plante son regard vert dans le vide, bien décidée à ne pas daigner lever un œil sur ce qu’elle considère comme un simulacre de justice.

Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ?

L’avocate intervient immédiatement :

Ma cliente ne peut pas reconnaître l’homicide dans la mesure où s’agit d’un cas typique de légitime défense.

La victime n’était pas armée.

Allons donc, vous savez tout comme moi ce qui ce serait passé si ma cliente n’avait pas mis un terme prématuré à la vie de votre prétendue victime. Mesdames et messieurs les jurés, nous allons si vous le voulez bien recadrer les faits. Nous sommes le 28 septembre... Ma cliente fait tranquillement son jogging dans le bois de Vincennes. Elle ne sait pas qu’un loup rôde. Au loin, un homme. Il est seul, habillé de noir. Elle continue son chemin. Il va à sa rencontre. Il est habillé de noir, seul. Pas âme qui vive à l’horizon. C’est l’aube, le soleil se lève, la luminosité est faible...

Et c’est alors que votre cliente s’est ruée en hurlant sur la victime. A coups de poing, à coups de bottes...

Objection, elle portait des baskets.

A coups de pied, elle a mis l’homme à terre...

C’est en effet ce que ma cliente a déclaré...

Et qui a été corroboré par l’enregistrement que la victime a heureusement pu faire fonctionner grâce à son téléphone portable et qui a été retrouvé sur les lieux du crime.

Ne parlons point de crime, c’est, rappelons-le, de la légitime défense.

Se munissant d’une grosse pierre, l’accusée a porté quatre grands coups sur la tête mais aussi sur le visage de la victime. La mort a visiblement été donnée par l’un des coups assené sur l’occipital qui s’est brisé en plusieurs morceaux.

N’oublions pas que c’est elle qui a prévenu la police de cet incident.

N’oublions pas que lorsque les agents sont arrivés sur les lieux, l’accusée avait allumé un feu dans lequel elle avait commencé à carboniser la victime (ce qui a rendu l’expertise médico-légale extrêmement pénible) et envoyait des bûches incandescentes sur la dépouille.

La jeune femme tique, elle fait un signe à son avocate, lui glisse délicatement quelques mots à l’oreille.

Ma cliente précise que les bûches n’ont jamais touché la victime avec le bout enflammé.

Ce crime odieux est d’une barbarie sans nom.

Mais quels crimes odieux a-t-il évité ? Que faisait cet homme, la quarantaine, l’air pervers, seul, habillé en noir à une heure si matinale dans un endroit isolé qu’il savait être, la plupart du temps, dédié aux sportives ?

Il se promenait tout simplement.

Permettez-moi d’en douter ! L’enquête de moralité ne fait aucun doute : cet homme pratiquait la masturbation et pire encore, il possédait des revues pornographiques qui, comme par hasard, étaient tout à fait hétérosexuelles et portaient sur des femmes parfaitement nubiles seulement !

L’accusée hausse les sourcils et soupire.

On vous demande de condamner, mesdames et messieurs les jurés, de condamner cette femme à dix ans de prison ! Mais, vous vous n’allez pas en décider ainsi. Vous allez relaxer ma cliente parce qu’elle est innocente. Parce qu’elle n’a fait qu’anticiper la légitime défense et parce qu’on sait bien que la meilleure défense c’est l’attaque ! Donc elle va sortir. Et pourquoi allez-vous décider ainsi ? Parce qu’elle va retourner dans sa famille, elle va retourner faire son jogging. Elle sera un symbole de la cause féminine.

Après avoir longuement délibéré, les jurés reviennent dans la salle d’audience. Le verdict tombe. La superbe jeune femme tombe en pleurant dans les bras de son avocate. Elle rit, elle trépigne de joie. La famille de la victime, une jeune mère et ses deux enfants, repart tristement. Aux marches du palais, deux étudiantes en droit venues assister au procès discutent :

Bien fait, de toutes façons, ce connard, quelle idée de se balader tout seul...

Habillé en noir en plus !

Et à l’aube en plus !

Il l’a bien cherché.

 

 

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