Le sonnet est-il encore possible ?
A l'heure actuelle, est-il encore possible de s'exprimer au travers de formes classiques ? Sont-elles les réceptacles inévitables de l'esthétique poétique ou le sarcophage d'une poésie vivante ?
Il est communément admis que la poésie est un art ivre de liberté, que le poète est libre. Alors, le sonnet, comme toute autre forme, est apte à être le contenant de la poésie actuelle. Néanmoins, je n'en suis pas persuadée. Bien entendu, une contrainte d’écriture peut mener à un exercice formel qui aura peut-être parfois une dimension artistique mais… je ne pense pas qu’on puisse décemment prétendre aujourd’hui avoir une démarche artistique en n’écrivant que des sonnets (bon c’est pour citer la forme classique la plus connue, mais c’est valable pour les autres aussi…).
En réfléchissant un peu aux formes du passé, on peut comprendre leur formation, leur succès et donc leur déclin. Peut-être certaines d’entre elles seront susceptibles de traverser le temps (énorme succès au 15ème et 16ème siècles, renouveau épatant au 19ème pour le sonnet, par exemple) ou l’espace (le haïku produit d’exportation numéro 1 du Japon ! ;-))… avant de disparaître à nouveau… Car les formes sont le reflet du fond, et lorsque la correspondance entre les deux touchent la perfection alors le chef d’œuvre peut apparaître.
Les plus beaux chefs d’œuvre n’ont pas été conçus dans le respect des gabarits : ils ont eux-mêmes créé les gabarits ! Ils sont ensuite reproduits, réinterprétés jusqu’à ce qu’une nouvelle forme apparaisse, une forme plus apte à rendre le monde contemporain, à questionner, une forme plus adéquate. Le besoin crée la forme, la forme si elle est réussie crée la règle, la règle un jour, ne répondant plus aux besoins sera détruite par une nouvelle forme. Ainsi, Baudelaire a cherché une forme propre à rendre au mieux ses sentiments et a dû inventer un langage « assez souple et assez heurté pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience » (Lettre à Arsène Houssaye - Baudelaire). Ainsi est né le poème en prose…
Partons du principe qu’un artiste communique sa vision du monde, elle-même un produit plus ou moins influencée par la société, par l’Histoire. Peut-on réellement penser qu’une forme apparemment parfaite pour le 15ème siècle le soit encore de nos jours ? Après le choc de la découverte de la conscience, de la théorie de l’évolution, de l’holocauste ? L’être humain poursuit son évolution. En considérant que l’ontogenèse rejoint la phylogenèse, considérons le fait d’écrire au 21ème siècle comme au 16ème siècle. Cela me paraît aussi insensé que de dire que l’on écrit de la même manière à 20 ans qu’à 40, car, quoi qu’on en dise, on ne pense pas de la même manière. Et c’est justement cette vision du monde qui se doit de transparaître par tous les aspects de la création. Par exemple, Ionesco a rendu l’absurdité du monde à travers l’incohérence de ses dialogues : fond et forme confondus.
Si la poésie paraît à ce point déstructurée de nos jours, semble parfois un pont dentelé jeté dans le silence, si on regarde cette recherche dans le derme du mot comme une psychanalyse du langage, peut-on honnêtement penser que cela ne reflète pas un peu le monde actuel ?
Ainsi, si toutes les formes sont possibles pour s’amuser à lire ou à écrire, je pense qu’une véritable démarche artistique s’inscrit dans une recherche formelle. Cela me paraît même inévitable.