Le sonnet est-il encore possible ?

Publié le par andre-guidici

A l'heure actuelle, est-il encore possible de s'exprimer au travers de formes classiques ? Sont-elles les réceptacles inévitables de l'esthétique poétique ou le sarcophage d'une poésie vivante ?
Il est communément admis que la poésie est un art ivre de liberté, que le poète est libre.  Alors, le sonnet, comme toute autre forme, est apte à être le contenant de la poésie actuelle. Néanmoins, je n'en suis pas persuadée. Bien entendu, une contrainte d’écriture peut mener à un exercice formel qui aura peut-être parfois une dimension artistique mais… je ne pense pas qu’on puisse décemment prétendre aujourd’hui avoir une démarche artistique en n’écrivant que des sonnets (bon c’est pour citer la forme classique la plus connue, mais c’est valable pour les autres aussi…).
 
En réfléchissant un peu aux formes du passé, on peut comprendre leur formation, leur succès et donc leur déclin. Peut-être certaines d’entre elles seront susceptibles de traverser le temps (énorme succès au 15ème et 16ème siècles, renouveau épatant au 19ème pour le sonnet, par exemple) ou l’espace (le haïku produit d’exportation numéro 1 du Japon ! ;-))… avant de disparaître à nouveau… Car les formes sont le reflet du fond, et lorsque la correspondance entre les deux touchent la perfection alors le chef d’œuvre peut apparaître.
 
Les plus beaux chefs d’œuvre n’ont pas été conçus dans le respect des gabarits : ils ont eux-mêmes créé les gabarits ! Ils sont ensuite reproduits, réinterprétés jusqu’à ce qu’une nouvelle forme apparaisse, une forme plus apte à rendre le monde contemporain, à questionner, une forme plus adéquate. Le besoin crée la forme, la forme si elle est réussie crée la règle, la règle un jour, ne répondant plus aux besoins sera détruite par une nouvelle forme. Ainsi, Baudelaire a cherché une forme propre à rendre au mieux ses sentiments et a dû inventer un langage « assez souple et assez heurté pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience » (Lettre à Arsène Houssaye - Baudelaire). Ainsi est né le poème en prose…
 
Partons du principe qu’un artiste communique sa vision du monde, elle-même un produit plus ou moins influencée par la société, par l’Histoire. Peut-on réellement penser qu’une forme apparemment parfaite pour le 15ème siècle le soit encore de nos jours ? Après le choc de la découverte de la conscience, de la théorie de l’évolution, de l’holocauste ? L’être humain poursuit son évolution. En considérant que l’ontogenèse rejoint la phylogenèse, considérons le fait d’écrire au 21ème siècle comme au 16ème siècle. Cela me paraît aussi insensé que de dire que l’on écrit de la même manière à 20 ans qu’à 40, car, quoi qu’on en dise, on ne pense pas de la même manière. Et c’est justement cette vision du monde qui se doit de transparaître par tous les aspects de la création. Par exemple, Ionesco a rendu l’absurdité du monde à travers l’incohérence de ses dialogues : fond et forme confondus.
 
Si la poésie paraît à ce point déstructurée de nos jours, semble parfois un pont dentelé jeté dans le silence, si on regarde cette recherche dans le derme du mot comme une psychanalyse du langage, peut-on honnêtement penser que cela ne reflète pas un peu le monde actuel ?
 
Ainsi, si toutes les formes sont possibles pour s’amuser à lire ou à écrire, je pense qu’une véritable démarche artistique s’inscrit dans une recherche formelle. Cela me paraît même inévitable.
 
 


Publié dans réflexion

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
G
Il me semble que tu as très bien cerné la problématique de la forme et du sens. A mon avis, il y a création lorsque le forme est neuve et lorsque le sens, tout en étant personnel et original, touche à l'universel. C'est par ce positionnement que la création prend corps dans la connaissance. Connaissance de l'homme et de ses époques. En résumé, le nouveau en art doit être source de connaissances.Gilles
Répondre
B
Eva,   J’ai pris beaucoup d’attention à lire cette réflexion.  Il est vrai que l’écriture ce modifie avec le temps, l’histoire son époque, la poésie des vers de Ronsard en prose de Baudelaire ou les textes de Montaigne l’écriture de Diderot …nous montre l’évolution ou plutôt l’évolution de la pensée d’une époque qui peux être toujours d’actualité. Pour ma part je suis un fervent de l’anti-académisme, l’anti-scolastique, l’anarchisme (dans le bon sens du terme), je n’aime pas (dans la langue) le classicisme. Je trouve, que comme tout art, il est là pour faire évoluer les choses, bouger la société, abattre des tabous (j’aime Mallarmé, les surréalistes, Artaud, Dada…) les manifestes des avant-gardes comme le Spirituel dans l’art de Kandinsky est une merveille. Bousculer les mots, les idées préconçues n’est –il pas là raison de l’art ? En plus d’y mettre des pulsions intérieures qui nous sont propres je n’irais pas jusqu'à la volonté de puissance de Nietzsche ou la maitrise de nos chaos intérieurs, mais Deleuze me parait plus approprier. C’est plaisir de converser sur ce sujet    Amitié  
Répondre
M
La question est peut être, à quoi sert  la poesie, à qui est elle adressée, quelles sont les relations du poète avec le pouvoir, dans les époques de grand formalisme le poète chante dieu et ses représentants sur terre, peu de lecteurs, mais grand apparat, aujourd'hui, le poète se séduit lui même, et envoie des flèches dans l'espace, avec la toile on arrive à un lectorat assez équivalant à celui engendré par l'édition poètique qui n'en peut mais. La question de la forme serait résolue s'il y avait dans la société des lieux et des moments où la poésie soit une nécessité absolue, soit un élément indispensable d'un rite social quelqu'il soit. Pour l'instant nous bricolons et la forme pour certains est une nécessité, avec la recette de la paella , je fais de la paella. Le haïku semble très prisé et ne semble pas oppresseur, pourtant que de contraintes... <br /> Je vous remercie pour alter texto, savoir que vous êtes chez les kanaks me fascine. Quelle chance d'avoir approché d'aussi près la baleine, "et pourquoi donc  que je dépècerais une pauvre bête qui m'a rien fait tant pis j'abandonne ma part", Prévert semble bien oublié. Bien avec vous. Michel
Répondre
Merci cher Michel pour votre point de vue. Vous avez raison, la forme en tant que recette étouffe la poésie mais la forme en tant qu'élément créatif est le noyau du poème, à mon sens. L'absolue nécessité du poème, voire sa sacralisation... pour qu'il y ait poème , si je vous suis bien ? Pour qu'il y ait art, sinon il n'y aurait que bricolage ? Je n'y avais jamais pensé en ces termes. Néanmoins, ne peut-on pas dire, étant donné le nombre incroyable de personnes qui écrivent de la poésie qu'il s'agit là d'une "absolue nécessité", un rite secret ?<br /> Je vous rassure pour les baleines, je les ai rencontrées par hasard en allant pêcher (des petits poissons délicieux appelés perroquets) et je me suis gardée de les harponner ! ;-)<br /> Je vous remercie grandement pour votre attention.<br /> Amicalement